Que signifient les nouvelles mesures environnementales mises en place par le gouvernement péruvien à quelques mois de la COP20 ?

Lundi, 22 Septembre, 2014 - 16:38

  Le Pérou sera l’hôte de la vingtième Conférence des Parties de la Convention des Nations Unies sur le Changement Climatique (CMNUCC) du 1er au 12 décembre 2014. Le but de la COP20 est de préparer le terrain, de mettre en place les bases d’un brouillon et le point de départ des négociations pour arriver à un nouvel accord climatique inaliénable au niveau mondial entre la Post-COP et la COP21 qui se réalisera à Paris, en France, en 2015. L’accord recherché est une mise en place de mesures effectives et adéquates pour réduire les émissions mondiales ainsi qu’un ensemble de nouveaux mécanismes ou d’outils pour que les pays puissent se développer et que mêmes les plus vulnérables puissent affronter le changement climatique. José de Echave, ex Vice-Ministre de l’Environnement et directeur de l’ONG CooperAcción, nous parle de “défi de la Planète” qui nous attend et pour lequel se réuniront les délégués de 194 pays à la COP20. Être le siège de la COP20 représente une importante et unique opportunité pour promouvoir le positionnement du Pérou et les réussites et actions impulsées en relation au changement climatique. Le Pérou a la chance d’avoir une mégabiodiversité mais c’est aussi l’un des 10 pays les plus vulnérables face au changement climatique. Il est également secoué par beaucoup de conflits sociaux (34 conflits sociaux de 2012 à mars 2014), en grande partie associés aux nouveaux projets miniers qui se mettent en place dans plusieurs régions. Il est aussi important pour le Pérou de protéger sa biodiversité que sa diversité culturelle. Ivan Lanegra, avocat et universitaire, spécialiste en politiques environnementales, ex Vice-Ministre de l’Interculturalité, nous rappelle que le Méxique comme pays d’Amérique Latine a déjà été le siège de la COP16 en 2010 à Cancún et que le pays a réussi à tirer profit de cet évènement pour mener à bien des mesures nationales adéquates et effectives par une loi sur le Changement Climatique. On espère de la même manière utiliser la COP20 pour renforcer l’autorité environnementale et l’agenda interne péruvien en relation au développent durable. Dans ce sens, le leadership du Ministère de l’Environnement (MINAM) est très important, comme il l’a été pour la COP de Cancún. Cependant, l’adoption récente d’un ensemble de mesures sans considération pour un développement durable sur le long terme fait penser que le Pérou n’est plus l’exemple qu’il devrait être pour affronter le changement climatique. Il est à noter également que le Président Ollanta Humala, dans son message présidentiel du 28 juin, n’a même pas fait mention du thème environnemental. Nous sommes dans un moment où l’on se demande jusqu’à quel point le Pérou affaiblit son autorité environnementale dans le cadre de mesures de réactivation économique et de la COP20.

  En effet, la Commission Permanente du Congrès de la République a adopté le 3 juin 2014 la loi 30230, « Les mesures économiques de Castille » - en référence au Ministre de l’Economie et des Finances, Luis Miguel Castilla, le majeur propulseur des mesures – qui établit des « Mesures Tributaires, Simplification de Procédures et Permis pour la Promotion et la Dynamisation de l’investissement dans le pays ». Cette loi met en place toute une série de changements normatifs non seulement sur le thème environnemental, mais également en matière tributaire, d’assainissement fiscal et légal de biens fonciers et immobiliers, et change les compétences des gouvernements municipaux et régionaux. Plus d’une centaine d’ONGs et de groupes indigènes se sont opposés à la loi dès que le Projet de Loi a commencé à circuler, la cataloguant comme un sérieux retour en arrière sur le thème environnemental et dénonçant son caractère préjudiciel pour les droits de la population. La loi 30230 est consultable ici : http://dataonline.gacetajuridica.com.pe/ZonaAdm-Contadores/Suscriptor/Mod_NormasLegales_CyE/Mod_normaslegales/normas/14072014/Ley-30230.pdf.

   Cette loi fait partie d’un contexte spécifique, c’est le résultat d’un contexte économique peu favorable pour le Pérou (mais l’économie restait cependant bonne dans le contexte régional et mondial) et d’une pression importante de la part du secteur privé. Le Pérou s’illustre comme la seconde meilleure économie d’Amérique Latine selon le classement du Doing Business 2013 de la Banque Mondiale (http://francais.doingbusiness.org/rankings). En 2008, la croissance économique du Pérou était de 8% et s’est maintenue à un taux de 7% jusqu’en 2011. A partir de 2011, elle a commencé à baisser un peu, et on prévoyait un taux de 3% pour 2014. La raison d’être de la loi 30230 est donc de promouvoir l’investissement et de stimuler la croissance économique pour dépasser les 3% prévus normalement pour cette année. La loi veut être une réponse à la forte campagne et mobilisation des chefs d’entreprises face à l’affaiblissement de la croissance du Pérou au premier semestre, qui a généré beaucoup d’inquiétude. On a dit que la croissance stagnait à cause des démarches auxquelles se confrontait le secteur privé. A côté de ce débat sur la décélération économique, le Gouvernement a commencé petit-à-petit à céder à la pression et a proposé une série de mesures pour améliorer le climat général des investissements, en apportant plus de flexibilité. Le Président Ollanta Humala a ainsi déclaré que les mesures avaient été portées jusqu’au Congrès parce qu’il « existaient des obstacles pour que l’investissement privé se réalise à la vitesse que nous les Péruviens avons besoin ». Une fois la loi adoptée, Luis Miguel Castilla, Ministre de l’Economie et des Finances, a assuré le 14 août lors de l’inauguration du Pérou Capital Marketx Day que «Le Second trimestre est une étape en plus et à partir d’ici va commencer la récupération qui va devenir effective à partir de la seconde moitié de l’année et nous allons retrouver de l’aisance en 2015, 2016 et pour la suite ».

  Les mesures de réactivation économique pour favoriser l’investissement massif et la croissance économique se font contre le développement durable et mettent des bâtons dans les roues du Ministère de l’Environnement, réduisant fortement sa marge de manœuvre, de telle manière que l’on parle de paquet de mesures qui cherchent à mettre à jour le thème environnemental sans agir pour autant en sa faveur.

 

Pourquoi s’inquiéter de cette nouvelle loi et quelles sont ses implications ?

  Les Nations Unies, dans un communiqué du 26 juin 2014, par la voie de l’Office de la Coordinatrice Résidente du Système des Nations Unies au Pérou ont exprimé leur inquiétude pour le projet de loi 30230 (projet 3627/2013-PE), en rapport avec le paquet de mesures pour réactiver l’économie et les engagements internationaux de l’Etat péruvien en matière de protection de l’environnement. Affaiblir les standards environnementaux pour augmenter l’investissement est une violation directe de la part du Pérou des obligations assumées avec le Traité de Libre Commerce Pérou / Etats-Unis (2006). L’article 18-3-2 du traité énonce « Les Parties reconnaissent qu’il est inapproprié de promouvoir le commerce ou l’investissement par l’affaiblissement ou la réduction des systèmes de protection observés dans ses législations environnementales respectives. En conséquence, une Partie ne laissera pas sans effet ou ne dérogera pas, ni ne proposera de laisser sans effet ou de déroger cette loi de manière qu’elle affecte le commerce ou l’investissement entre les Parties ». Cette nouvelle loi viole également le Protocole de San Salvador, Protocole Additionnel de la Convention Américaine Sur les Droits Humains en matière de Droits Economiques, Sociaux et Culturels (Art 11, incise 2), la « Charte Démocratique Interaméricaine », instrument de l’Organisation des Etats Américains (OEA,art15) et la Convention sur la Diversité Biologique des Nations Unies, la Loi Organique pour l’Exploitation durable des Ressources Naturelles – Loi 26821 (art 13), la loi des Aires Naturelles Protégées – Loi 26834 (art 13). En plus de ces violations internationales, cette loi est aussi une contradiction interne (Résolution suprême N°189-2012-PCM, du 24 juin 2012).

   La loi 30230 proposée par l’Exécutif et approuvée par le Conseil établit 5 mesures principales en matière environnementale qui affaiblissent ouvertement les fonctions du Ministère de l’Environnement (MINAM) et qui sont nuisibles pour l’environnement comme pour la société péruvienne.

1) Impact sur l’Organisme d’Evaluation et de Fiscalisation Environnementale (OEFA).

  La mesure adoptée avec la loi 30230 qui réduit le plus l’action du MINAM est sans aucun doute celle en rapport avec l’Organisme d’Evaluation et de Fiscalisation Environnemental (OEFA). En effet, l’article 19° de la loi 30230 sur le « Privilège de la Prévention y la correction des conduites en infraction » est en retour en arrière en matière de législation environnementale nationale car il prévoit un affaiblissement de l’OEFA et du Système National d’Evaluation et de Fiscalisation Environnemental (SINEFA). Ainsi, la loi signale qu’il y aura un délai de seulement 3 ans durant lequel l’Organisme d’Evaluation et de Fiscalisation Environnementale (OEFA) privilégiera « les actions orientées à la prévention et à la correction de la conduite en infraction sur le plan environnemental ». Il ne faut pas oublier que la création de l’OEFA s’est faite dans la continuité de celle, très récente, du Ministère de l’Environnement, en 2008. Cet organisme fiscalisait et sanctionnait les entreprises et s’est agrandi et renforcé au fil des ans. Cette nouvelle mesure signifie que le processus de sanction sera exceptionnel pendant trois ans, perdant son caractère dissuasif. Si les mesures correctives sont appliquées, il n’y aura pas d’amende et le processus de sanction sera clôt. Si l’amende s’applique, elle ne sera pas supérieure à 50% de sa valeur, et les 100% de sa valeur s’appliqueront seulement pour des cas spéciaux, notamment dans des infractions très graves à la vie et à la santé des personnes. José de Echave, ex Vice-Ministre de l’Environnement et directeur de CooperAcción, dénonce cette mesure qui réduit de fait le rôle du MINAM. C’est un « instrument dissuasif » qui va contre le travail effectué jusqu’ici. José de Echave souligne en plus que cette mesure fait surgir tout un questionnement sur la manière dont on pourra mesurer les cas qui affectent réellement la vie et la santé des personnes. En effet, ces cas nuisibles pour la vie et la santé des personnes étant très difficiles à mesurer, on ne pourra presque pas sanctionner les entreprises. La loi affaiblit l’Etat de Droit et diminue l’action fiscale et le pouvoir punitif de l’OEFA de telle sorte qu’il résulte attractif de ne pas respecter les normes socio-environnementales. De plus, la loi aurait dû être discutée dans un grand débat public, et non pas seulement au niveau très réduit du champ économique. Il apparaît clairement que l’imaginaire de l’actuel gouvernement est économique, privilégiant les investissements à court terme pour obtenir de meilleurs résultats d’ici 2016, date des prochaines élections présidentielles. Etant donné que la popularité de l’actuel gouvernement n’est pas très grande et nous nous sommes habitués à mesurer l’efficacité d’un gouvernement au PIB, le gouvernement cherche à améliorer l’économie du pays. En réduisant le pouvoir fiscal de l’Etat et en réduisant les amendes, la loi résulte être une « incitation perverse » comme le dit Vanessa Cueto, Présidente de l’ONG DAR (Droit Environnemental et Ressources Naturelles), comme s’il était plus rentable d’être en infraction que de respecter la loi. Elle évoque bien plutôt la possibilité de mettre en place une récompense pour les meilleures entreprises, ce qui serait un vrai incitatif au lieu de sanctionner à la légère les entreprises qui se moquent des normes environnementales. De plus, il est possible que la loi ait des impacts sur d’autres organes qui font partie du SINEFA à la charge de l’OEFA comme l’ANA (Autorité Nationale de l’Eau), la DIGESA (Direction Générale de la Santé Environnementale) et les gouvernements régionaux et locaux qui ont des compétences en la matière. On comprend donc bien que cette mesure, comme les autres, a pour objectif d’injecter plus de flexibilité dans les démarches du secteur privé. L’Etat veut ainsi augmenter la production et attirer les investissements péruviens et étrangers, avec des standards plus souples qui perdent de leur rigueur. On diminue les amendes pour que la production continue à augmenter sans se préoccuper des impacts environnementaux.

2) Zones Réservées (ZR).

  L’article 20° de la loi indiquant que «(...) Par décret Suprême, les Zones Réservées auxquelles se réfère l’Article 13 de cette loi s’établissent avec le vote approbatif du Conseil des Ministres» établit très clairement que les Zones Réservées ne sont plus le privilège du Ministère de l’Environnement. Les Zones Réservées sont des aires qui remplissent potentiellement les critères pour être considérées comme des ANP (Aire Naturelle Protégée), mais qui, avant de l’être, nécessitent la réalisation d’études techniques complémentaires. Cette mesure limite les fonctions du Ministère de l’Environnement (MINAM) pour établir les Zones Réservées (qui est une situation transitoire nous l’avons dit) et bureaucratise tout le processus pour que son approbation soit finale avec le vote du Conseil des Ministres. Cette formalité était déjà requise pour les Aires Naturelles protégées (ANP) mais dans ce cas-ci, on exige l’avis du Conseil des Ministres seulement pour désigner les Zones Réservées. Cette mesure est contraire à l’esprit de la Loi Aires Naturelles Protégées étant donné que la création de Zones Réservées se fera sous la prédominance de critères politiques et économiques quand elle devrait se faire uniquement sur la base de critères techniques et de processus participatifs. Marco Arenas Aspilcueta, Chef du Parc National Huascarán au Service National des Aires Naturelles Protégées par l’Etat (SERNANP), nous explique que les aires naturelles protégées sont très importantes au Pérou car elles couvrent actuellement 17% du territoire national (77 aires naturelles protégées de l’administration nationale, 15 de l’administration régionale et 55 de l’administration privée). Ce chiffre, 17%, n’est en rien négligeable, tant pour le Pérou qu’au niveau mondial, les aires naturelles protégées étant entre autre un espace de stock de carbone très important tout comme les forêts. Il est indiscutable que le Pérou a déjà fait beaucoup d’efforts jusqu’à présent pour ses aires naturelles protégées, en comparaison de la Bolivie et de l’Equateur par exemple. Mais la Colombie est probablement le pays qui a le meilleur développement de planification territoriale, grâce à une stabilité des fonctionnaires publiques et le Chili continue également à promouvoir la protection des Aires Naturelles Protégées ainsi que le Costa et l’Uruguay. Maintenant, avec la mesure de la loi 30230 par rapport aux Zones Réservées, il ne fait aucun doute pour Marcos Arenas Aspilcueta que le processus de désignation des Zones Réservées va être plus difficile. Par exemple, les côtes du Pérou sont déjà en partie protégées, mais une zone côtière très importante au Nord du Pérou, appelée la Zone « Mer Pacifique Tropicale », ne l’est pas encore. Malheureusement, dans cette zone très riche au niveau environnemental, il y a beaucoup de lots pétroliers et d’hydrocarbures. Avec la nouvelle loi, il n’est pas difficile d’imaginer qu’il sera presque impossible dorénavant de déclarer « Zone Réservée » la zone « Mer Pacifique Tropicale », les intérêts économiques étant prépondérants et pouvant compter sur l’appui du Ministère de l’Economie et des Finances et du Ministère de l’Energie et des Mines (MINEM). Comme nous le rappelle Marco Rondón, Spécialiste et Coordinateur des Sujets Environnementaux au SERNANP, «En politique il n’y a pas de hasard».

3) Opinion technique préalable pour évaluer les EIAs

  Larticle 21, sur «Demande d’opinions pour Evaluation de l’Etude de l’Impact Environnemental (EIA) » établit un délai insuffisant de 45 jours pour émettre des opinions techniques pour évaluer un EIA. Prévoir un délai maximum de 45 jours ouvrables sur n’importe quel type d’Etudes de l’Impact Environnemental (EIS) est contraire au règlement de la Loi Système National d’Evaluation de l’Impact Environnemental (SEIA) qui octroyait des délais différenciés. De plus, la loi fait une menace de sanction administrative aux fonctionnaires qui ne respecteraient pas le délai de 45 jours. Se centrer sur la punition pour les fonctionnaires qui ne respecteraient pas le délai recommandé n’est pas forcément une mauvaise chose, étant donné qu’on cherche à éviter de perdre du temps. Le problème est que cette mesure ne prend pas en compte le fait qu’il y ait des cas qui puissent nécessiter beaucoup plus de temps que 45 jours à cause de leur complexité. La réduction du délai de Demande d’opinion pour l’Evaluation de l’Etude de l’Impact devrait se faire en même temps qu’une implication financière plus importante de l’Etat pour augmenter le nombre de fonctionnaires et être aussi efficace qu’avant malgré la réduction de temps. Mais cette mesure ne se voit pas pour l’instant. En conséquence, le fonctionnaire pourrait éventuellement émettre une opinion technique faussée dans un court délai alors qu’il aurait besoin de plus de temps pour le faire, dans le seul but de ne pas être sanctionné. C’est un risque socio-environnemental pour les populations indigènes en général, les populations en isolement ou qui sont en contact direct ou indirect avec le projet d’investissement, les aires naturelles protégées et les ressources hydriques. Vanessa Cueto, Présidente de l’ONG DAR, nous signale que la loi ne reconnaît pas non plus les problèmes de l’administration publique au niveau de l’évaluation environnementale, se concentrant sur les fonctionnaires au lieu de prendre en compte les problèmes de manque de moyens humains, financiers et techniques de l’administration publique. Selon elle, les institutions spécialisées comme le Service National des Aires Naturelles Protégées par l’Etat (SERNANP), l’Autorité Nationale de l’Eau (ANA) et le Ministère de la Culture (MINCU) devraient avoir des facilités pour réaliser des travaux sur le terrain, vérifier l’information secondaire pour développer une opinion consistante, etc, mais au contraire, la loi rend cela plus difficile. La qualité de l’information présentée ne pourra pas être vérifiée car la loi indique que les entités ont l’interdiction de solliciter de nouveau des documents que le sollicitant a présenté à son responsable.

4) Ordonnancement territorial (OT).

 L’article n°22 de la loi sur « Ordonnancement territoriale » affecte les compétences du Ministère de l’Environnement en matière d’Ordonnancement territorial. La loi prévoit que la Politique Nationale d’Ordonnancement Territorial soit approuvée par la Présidence du Conseil des Ministres (PCM), ce qui enlève donc au Ministère de l’Environnement une autre de ses fonctions importantes. Avec cette loi, le MINAM perd la capacité de décision et sa capacité d’influence se réduit parce qu’il n’a plus qu’un vote et tous les autres ministères en ont également un. Etant donné que les autres ministères promeuvent pour la plupart un investissement qui n’inclut pas le concept de développement durable, l’ordonnancement territorial ne prendra pas en compte un développement durable sur le long terme comme ce devrait être. De plus, le processus d’élaboration de la politique nationale de l’ordonnancement territoriale devrait incorporer les acteurs stratégiques qui interviendront dans le processus. Parmi eux se trouvent les gouvernements locaux et régionaux qui formulent normalement l’ordonnancement territorial selon les lois organiques. La loi signale que «ni la Planification territoriale Economique, ni la l’Ordonnancement Territorial n’assignent d’usages ni d’exclusions d’usage », ce qui est contraire aux objectifs et à la finalité de la Planification territoriale définis dans les Plans de l’Ordonnancement territorial (POT). La loi promeut donc une occupation désordonnée, sectorisée et non planifiée du territoire. Vanessa Cueto souligne que l’Ordonnancement territorial est un « thème clé » pour le Pérou. C’est un processus politique et technique complexe qui nécessite une prise de décision concertée avec tous les acteurs sociaux, économiques et politiques. La loi réduit les compétences et fonctions des Gouvernements Régionaux sur l’occupation et l’usage durable du territoire ce qui réduit les Plans d’Ordonnancement Territoriaux à de simples plans de référence dont l’application ne sera pas obligatoire pour tous les niveaux du gouvernement. Cette mesure a annulé beaucoup de droits des gouvernements locaux alors que les régions sont déjà source de désordre au Pérou. L’Ordonnancement territorial devrait être le point de départ autour duquel tout partirait, il devrait donc y avoir une loi spécifique et visible pour l’Ordonnancement Territorial qui ne soit pas mélangée avec les autres mesures. Favoriser le marché et les secteurs comme l’Energie et les Mines pour qu’ils continuent à imposer des usages territoriaux selon leurs intérêts met en péril le patrimoine culturel et environnemental du Pérou. Il y aura en conséquence un coût plus important pour l’Etat péruvien à cause des conflits sociaux-environnementaux générés par la superposition de droits et l’absence de mécanismes de coordination inter-gouvernementale et de participation. Ces coûts se répercuteront également sur la population et sur les investisseurs.

5) Standards de Qualité Environnementale (ECA) et Limites Maximales Autorisées (LMP).

  L’article n°23 de la Loi sur la Délimitation des Standards de Qualité Environnementale (ECA) et Limites Maximales Autorisées (LMP) augmente les démarches bureaucratiques étant donné qu’il existe déjà une coordination interinstitutionnelle préalable entre le Ministère de l’Environnement et les secteurs en jeu pour l’approbation des ECA (Délimitation des Standards de Qualité Environnementale) et Limites Maximales Autorisées (LMP). Le Ministère de l’Environnement ne pourra plus fixer ces standards et ces limites environnementales. Les ECA et LMP sont des mesures qui permettent la protection du droit à la santé des personnes et de l’environnement selon les recommandations de l’Organisme Mondial de la Santé (OMS) pour la qualité de l’air, de l’eau et du sol. Changer ces standards pour favoriser l’investissement c’est directement mettre en danger la santé publique. Par exemple, le secteur Minier est le secteur qui a le plus d’amendes car il ne respecte pas les Limites Maximales Autorisées. Le PIB du secteur minier a baissé pendant trois années consécutives – entre 2009-2011 et a commencé à récupérer un peu en 2012. Maintenant, le PIB de la métallurgie a une variation positive de 9,4% en 2014 et tout indique que dans les prochaines années le PBI continuera à augmenter, les projections prévoyant une croissance de 13,7% en 2015 et 10,9 en 2015 (Source : INEAI/ Cadre macroéconomique multi-annuel révisé 2014/2016). Les reculs dans le domaine environnemental font donc partie d’un ensemble de mesures plus importantes pour libérer les investissements. L’article n°24 de la loi prévoit en plus l’Elimination de duplicatas et ne prend pas en compte l’allongement du temps pour les EIA (Etudes d’Impact Environnemental) pour vérifier l’information en détail , en particulier pour l’autorisation de versements et de réutilisation des eaux résiduelles, qui était établie par le secteur Agriculture et Risque.

 

  Le ministre de l’Environnement Manuel Pulgar-Vidal nie que les choses ont changé, affirmant dans son interview accordée le 3 août au journal La República “Les mesures économiques dictées dans cette loi n’ont en rien diminué le pouvoir ni les facultées que nous avons non seulement en tant que ministère, mais aussi comme secteur environnemental ; c’est-à-dire le ministère et ses organes adjoints”. Mais il est difficile de nier le normatif de la loi qui lui nous dit qu’il y a un réduction de la marge de manœuvre du MINAM. La question est donc bien plutôt de savoir jusqu’à quel point on l’a réduite. De plus, avec ces mesures environnementales explicitées dans la loi 30230, on voit qu’il y a une dichotomie très forte entre le processus mondial de la COP et ce qui passe au niveau interne et nacional au Pérou. Le Pérou veut inverser la tendance économique mais il faut se rappeler que cette tendance est générale, la baisse de la croissance est valable pour l’Amérique Latine comme au niveau international général en Amérique, Europe et Asie, cela fait partie d’un processus économique cyclique normal. De ce fait, penser à un plan économique à court terme qui n’intègre pas l’idée de développement durable n’est pas la bonne idée. On sous-estime la valeur de la gestion environnementale alors que ces outils sont justement la base pour maintenir l’invetissement du futur. L’équilibre nécessaire entre la croissance et le respect de l’environnement se fissure avec cette loi qui soulève beaucoup d’interrogations sur l’affectation de la population. José de Echave reconnaît que l’on a besoin de réformes au niveau des programmes sociaux et d’assistance, il faut investir pour réduire la pauvreté et augmenter le taux d’emploi, mais il souligne que le concept de développement doit être associé à celui de développement durable pour qu’il y ait un “équilibre entre les deux”. Il nous parle même de “terrible contradiction” pour qualifier la situation dans laquelle se trouve actuellement le Pérou avec l’agenda mondial et interne. Lima est un pas essentiel dans le processus de lutte contre le changement climatique pour mettre en place les bases pour Paris. Bien sûr, favoriser le développement au lieu de favoriser le développement durable n’est pas quelque chose de propre au Pérou, la majorité des pays fonctionnent ainsi. Le problème est que cette diminution des compétences du MINAM dans l’agenda national en faveur de l’économie est d’autant plus visible dans le contexte actuel et la loi 30230 pourraît éventuellement être retenue comme élément moral et éthique critique, le Pérou étant l’hôte de la COP. Mais nous espérons que cette mesure ne sera pas un obstacle majeur pour les négociations mondiales qui sont plus importantes que les problèmes locaux car ils affectent tous les pays, dont les Etats-Unis, la Chine, le Brésil et les pays européens. Mais en plus d’être nuisible pour l’environnement, la loi ne mentionne pas une seule fois le mot “indigène” et présente plusieurs risques pour la diversité culturelle du Pérou. Ceci s’inscrit dans une tendance mondiale, la Banque Mondiale réduisant ses sauvegardes pour les Indigènes. Le thème de la Consultation Préalable va probablement surgir de nouveau dans le débat futur parce que la loi 30230 ne prend pas en considération le droit de ces populations avec leurs terres. La Dix-huitième Disposition Complémentaire sur la “Déclaration d’interêt national” déclare d’intérêt national le développement de voies navigables du pays et habilite le Ministère du Transport et de la Communication (MTC) à fixer et encaisser le paiement pour être attentif aux interventions faites sur les voies navigeables. Etant donné que beaucoup de ces projets se font en Amazonie, il faut prendre en compte l’application du Droit de la Consultation Préalable en accord à la Convention 169. La loi de la Consultation Prélable fut approuvée au Pérou en septembre 2011, entrant en vigueur en avril 2012. Cette mesure se base sur l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui cherche à reconnaître le droit des peuples indigènes ou d’origine en étant consultés préalablement sur les mesures législatives ou administratives qui affectent leurs droits collectifs, leur existence physique, leur identité culturelle, leur qualité de vie ou leur développement de manière directe. Ivan Lanegra, avocat et universitaire, spécialiste en politiques environnementales, ex Vice-Ministre de l’Interculturalité, nous explique que la loi de la Consultation préalable est une politique qui n’avait aucun antécédant opérationnel préalable, il a fallu partir de zéro dans l’appareil qui pouvait être utilisé. D’autre part, cette loi s’est réalisée dans un contexte bien spécifique dans lequel on voyait la possibilité d’agir pour les communautés indigènes, après le massacre de Bagua le 5 juin 2009. Ensuite, avec le Projet Conga à Cajamarca en 2010 les premières préocupations sur les changements liés au thème environnemental sont apparues. Le changement se termine éventuellement avec les inquiétudes sur la crise économique. On voit donc un cycle bien marqué de trois phases, celle de l’opportunité, de la préocupation et maintenant un moment qui semble difficile pour des réformes du type de la Consultation Préalable. L’application de la loi de la Consultation est très lente étant donné que le réglement a été établi en 2012 et qu’il faut beaucoup de temps pour clore l’examination d’un seul cas. En 2013, il y avait une plus grande marge de manœuvre mais maintenant Ivan Lanegra nous dit que nous sommes dans un contexte politique compliqué où il est difficile d’aller plus vite.

Au niveau régional, la Communauté Andine (CAN) a échoué à coordonner les politiques environnementales des pays et c’est maintenant l’Union Des Nations Sud-Américaines (UNASUR) qui s’en charge. Mais selon José de Echave, une articulation commune des pays andins face au changement climatique paraît difficile pour le moment. Il existe déjà un certain désordre à l’intérieur des pays, comme on le voit par exemple dans le cas péruvien où l’on commence tout juste à mettre en place un plan avec beaucoup de retard. La politique des ministères ne peut pas s’appuyer sur des infrastructures assez solides et c’est donc encore plus difficile lorsqu’il s’agit de coordonner les positions différentes au niveau régional. Ivan Lanegra insiste sur une évidence, dans la dernière décennie, le tournant des pays à gauche qui s’est observé dans de nombreux pays n’a pas non plus impliqué un changement substantif dans la politique destinée à maintenir les activités extractives. Par exemple, des cas comme le TIPNIS (Territoire Indigène et Parc National Isiboro-Secure) en Bolivie, le Parc National Yasuní en Equateur, le thème des centrales hydroélectriques au Brésil, l’importance de la culture du soja en Argentine. Tous les pays ont dû faire face aux mêmes conflits, aux mêmes pressions et des partis sont arrivés avec des discours environnementalistes. Ils ont mis en place les mêmes sanctions mais au lieu de prendre des décisions, ils ont fini par agir à l’opposé de ce prônait leur discours officiel pro-environnemental par manque de moyens, en utilisant des mesures environnementales déjà existantes ou même dans certains cas en relâchant la règle environnementale. Ivan Lanegra signale que le Chili est un cas intéressant car il a alterné entre la gauche et la droite et a réussi d’une certaine manière à construire de manière lente mais soutenue des capacités environnementales effectives. Le projet d’incorporation du Chili à l’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Economique) en 2010 et la chance de compter sur une stabilité nationale sont les facteurs qui y ont aidé. L’Uruguay et le Costa Rica sont également en avance sur le sujet environnemental, au contraire des autres pays.

Au niveau interne, Ivan Lanegra pense qu’il y a un manque de volonté politique pour tirer profit de la COP et améliorer l’agenda interne. Pour le moment, à court terme les mesures environnementales dépendent des projets qui peuvent faire augmenter le PIB. Il n’y a pas non plus pour le moment de parti politique significatif au Pérou qui fasse du développement durable son fer de lance ni mouvement civil très fort, ce qui rend d’autant plus difficile la prise de conscience sur l’importance de promouvoir un développement durable et de changer les habitudes. Mais la Négociation en général n’est pas une chose facile en soi, et il faudrait déjà avoir un leader au niveau sud-américain. Pour prévoir un plan sur le long terme, autant José de Echave que Ivan Lanegra suggèrent que le changement devrait venir depuis l’extérieur, de la part de l’ONU et de la pression internationale, des traités adoptés comme le Traité de Libre Commerce Pérou/ Etats-Unis qui a été violé, des jugements ou demandes d’autres pays, de la part des organisations non gouvernementales (ONGs) et des civils en général, pour être un contrepoids efficace à un Etat soumis aux règles économiques du marché et au PIB. Il faudrait relier le thème environnemental avec un autre thème social plus large, et profiter de ces liens pour introduire plus largement les thèmes environnementaux, comme cela s’est fait dans de nombreux pays où des faits environnementaux importants ont mobilisé la population. Un bon exemple est ce qui est en train de se passer avec Marina Silva au Brésil. Agée de 56 ans maintenant, Marina Silva a grandi dans une communauté qui cultivait le caoutchouc et c’est seulement à l’adolescence qu’elle a appris à lire. Elle est entrée en politique en lutant contre la déforestation en Amazonie. Après avoir été ministre de l’Environnement de Lula da Silva, elle a quitté le Parti des Travailleurs (PT) et a candidaté de manière indépendante en 2010 aux élections présidentielles, pour arriver en troisième position. Elle est maintenant la seconde dans les enquêtes pour les élections présidentielles du Brésil qui auront lieu le 5 octobre 2014. Selon les derniers sondages, elle gagnerait probablement au second tour contre Dilma Roussef. Elle serait probablement la première présidente leader environnementale d’Amérique Latine. Ces sont des processus de longue haleine qui doivent se lier. Au Pérou, dans cette sécheresse de mobilisation, les groupes qui veulent mettre en avant le thème environnemental sont comme une "oasis" nous commente Ivan Lanegra. Il en résulte que la seule chose que nous pouvons faire pour le moment, c’est changer l’opinion du Gouvernement par des contrepoids qui viennent de l’extérieur. Le plus urgent est d’introduire le thème environnemental dans les discours politiques car au Pérou, il n’est jamais entré dans le débat présidentiel. A chaque fois que l’on parle de ce thème, les politiques se basent sur le discours de personnes extérieures au cercle politique qui les aident et au final les mesures promises ne sont jamais prises. Parler du thème environnemental et le faire parvenir jusqu’à la sphère politique reste donc à faire. Les ONGs de recherche et les organisations sociales ont pour rôle d’introduire des mesures et des actions qui soient facilement convertibles en politiques publiques et de faire un discours qui soit plus attractif pour les politiques en leur offrant une alternative. Ceci nécessite également un rapprochement plus fort de la communauté scientifique et des universitaires avec les thèmes environnementaux.

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